Bakou/Moscou/Kyiv — La neutralité fragile du Caucase est mise à rude épreuve. Le 11 août 2025, le président azerbaïdjanais Ilham Aliyev a autorisé l’envoi de 2 millions de dollars d’aide humanitaire à l’Ukraine, principalement sous forme de matériel électrique destiné à soutenir la reconstruction du réseau énergétique ukrainien, lourdement endommagé par les bombardements russes.
Ce geste, à la fois symbolique et stratégique, ravive les tensions avec la Russie, partenaire traditionnel de l’Azerbaïdjan, qui voit d’un très mauvais œil tout soutien, même humanitaire, accordé à Kyiv.
Une aide ciblée et assumée
Selon un communiqué officiel publié par la présidence azerbaïdjanaise, cette nouvelle enveloppe budgétaire sera utilisée pour l’achat de câbles électriques, transformateurs, et équipements techniques fabriqués localement, notamment dans la ville industrielle de Sumgayit. L’objectif est clair : aider l’Ukraine à maintenir la stabilité de son réseau énergétique, vital pour les hôpitaux, les infrastructures de communication et la population civile, en particulier à l’approche de l’hiver.
Ce n’est pas une première. En février 2025, Bakou avait déjà envoyé 1 million de dollars d’aide similaire. Depuis le début de l’invasion russe en 2022, l’Azerbaïdjan a fourni plus de 40 millions de dollars d’aide humanitaire à l’Ukraine – un chiffre modeste à l’échelle globale, mais significatif compte tenu de la sensibilité géopolitique régionale.
Une réaction russe immédiate et menaçante
Côté russe, la réaction a été immédiate et musclée. Andreï Gouroulev, député influent de la Douma et ancien général, a qualifié ce soutien d’« acte hostile » et proposé l’interdiction des produits azerbaïdjanais sur le marché russe. Il a aussi laissé entendre que les entreprises azerbaïdjanaises opérant en Russie pourraient bientôt faire face à des « restrictions sévères », voire à des expulsions du marché.
Pire encore, Gouroulev a menacé que « l’opération militaire spéciale », nom officiel donné à l’invasion de l’Ukraine, pourrait s’étendre à d’autres zones frontalières de la Russie, une allusion à peine voilée aux tensions territoriales latentes dans le Caucase.
Si ces propos n’ont pas encore été confirmés par le Kremlin, ils illustrent le nervosisme croissant de Moscou face à l’érosion de son cercle d’alliés dans un contexte de guerre longue et coûteuse.
Pourquoi Bakou prend-il ce risque ?
À première vue, le calcul semble risqué : l’Azerbaïdjan dépend encore fortement de ses échanges avec la Russie, notamment dans le domaine de l’énergie, des transports, et de l’agriculture. Pourtant, Bakou avance avec prudence mais fermeté. Cette aide humanitaire permet au pays :
- De soigner son image à l’international, en se positionnant comme un acteur responsable et humanitaire ;
- De renforcer ses relations économiques avec l’Ukraine, notamment dans les secteurs de l’électricité et de la logistique ;
- Et surtout, de montrer qu’il agit de manière souveraine, en refusant de suivre aveuglément la ligne du Kremlin.
Selon plusieurs analystes régionaux, Ilham Aliyev chercherait à maintenir un équilibre délicat entre loyauté diplomatique envers Moscou et ouverture vers l’Ouest, sans s’aliéner ni l’un ni l’autre.
Entre menaces et réalités géopolitiques
Le bras de fer reste, pour l’instant, verbal. Mais si la Russie décide de mettre ses menaces à exécution, l’impact économique pourrait être réel : le marché russe est un débouché important pour les produits azerbaïdjanais, et des milliers de travailleurs du Caucase résident ou opèrent en Russie.
Cependant, une rupture totale semble peu probable. L’Azerbaïdjan joue un rôle central dans les corridors énergétiques sud-nord et est-ouest, notamment vers l’Iran, la Turquie et l’Europe. Pour Moscou, rompre brutalement les ponts avec Bakou reviendrait à affaiblir ses propres marges de manœuvre stratégiques dans une région qu’elle cherche toujours à influencer.
Une aide symbolique, mais un signal fort
Pour l’Ukraine, cette aide matérielle ne changera pas le cours de la guerre. Mais sur le plan diplomatique, elle confirme une tendance discrète mais importante : même des pays historiquement proches de Moscou commencent à franchir des lignes rouges, parfois prudemment, mais de plus en plus visiblement.
C’est aussi un signal adressé aux autres États post-soviétiques : il est possible de soutenir l’Ukraine sans pour autant rompre ouvertement avec la Russie. Une position d’équilibriste que Bakou maîtrise de mieux en mieux.