Par (Antonio)
12 août 2025
Alors qu’Haïti traverse l’une des périodes les plus sensibles de son histoire contemporaine, un nouveau front s’ouvre : celui de la gouvernance. Au cœur des tensions actuelles, la possible révocation de deux figures clés de la lutte anti-corruption suscite une vague d’indignation et d’inquiétude au sein de la société civile haïtienne.
Dans un avis d’alerte diffusé ce mardi 12 août, le Réseau haïtien des journalistes anti-corruption (RHAJAC) tire la sonnette d’alarme : selon des informations concordantes, le directeur de l’Unité de Lutte Contre la Corruption (ULCC) ainsi que le directeur général de l’Administration générale des Douanes (AGD) seraient dans le viseur du Conseil présidentiel de transition (CPT). Leur crime ? Avoir résisté aux pressions et poursuivi sans relâche leur mission de transparence et d’assainissement des finances publiques.
Un climat de suspicion
Depuis plusieurs mois, les signaux se multiplient. La nomination de Laurent St-Cyr à la coordination du CPT semble avoir accéléré une dynamique inquiétante : celle d’une majorité consolidée au sein du Conseil, réunissant notamment trois conseillers-présidents dont les noms sont cités dans plusieurs affaires de corruption : le Dr Louis Gérald Gilles, Smith Augustin et Emmanuel Vertilaire. Accusés par des rapports officiels d’avoir été impliqués dans le détournement de fonds publics, ces derniers bénéficieraient désormais d’un soutien stratégique leur permettant d’orienter les grandes décisions de l’État.
Une majorité de cinq voix sur sept leur permet, de fait, d’agir sans contrepoids réel. Et déjà, les conséquences sont visibles. L’une des premières décisions prises a été la révocation du directeur général de la Police nationale, Normil Rameau, peu de temps après l’arrestation de l’ancien sénateur Nenel Cassy, poursuivi pour son implication présumée dans le financement de gangs armés et d’autres crimes graves. Cette arrestation aurait été mal perçue par les conseillers impliqués, qui n’auraient pas été « consultés » au préalable.
Une offensive ciblée contre l’ULCC et les Douanes
Aujourd’hui, l’étau semble se resserrer autour de deux institutions phares dans la lutte contre la corruption. L’ULCC, dirigée par un homme dont l’intégrité est saluée par plusieurs organisations de la société civile, est en ligne de mire depuis la publication d’un rapport accablant sur le détournement présumé de 100 millions de gourdes au sein de la Banque nationale de crédit (BNC). Le rapport implique directement certains membres influents du CPT.
De l’autre côté, les Douanes haïtiennes, dirigées par Julcène Édouard, subissent elles aussi des pressions. M. Édouard, qui s’est illustré ces derniers mois par une volonté affirmée de combattre la contrebande et les réseaux de corruption enracinés dans l’import-export, aurait refusé de céder aux injonctions venues du sommet de l’État. Une posture courageuse, mais risquée.
Une société civile vigilante
Face à cette situation, le RHAJAC appelle à la mobilisation. « Révoquer ces deux hauts responsables, c’est porter un coup fatal à la lutte contre la corruption en Haïti », lit-on dans l’avis signé par ses dirigeants. L’organisation presse la société civile à rester vigilante et à refuser toute décision qui irait à l’encontre de l’intérêt général.
La crainte est palpable : que la lutte contre la corruption ne soit sacrifiée sur l’autel de calculs politiques et d’intérêts personnels. Que les institutions soient vidées de leur substance, remplacées par des directions complaisantes, prêtes à enterrer les dossiers sensibles.
Un tournant décisif
Ce moment pourrait bien être un tournant pour Haïti. Plus que jamais, la question se pose : quelles institutions voulons-nous bâtir ? Peut-on encore croire à une gouvernance honnête, quand ceux qui en ont la charge sont eux-mêmes cités dans des affaires graves ?
La réponse dépendra, en partie, de la capacité des citoyens, des médias, des syndicats, des associations, à se dresser, non pas contre des personnes, mais contre un système qui, s’il n’est pas contenu, risque de replonger le pays dans un cycle de défiance et de désespoir.