Il semble que les chiens commencent à mordre leurs maîtres. C’est l’image crue, mais réaliste, qui résume le climat de chaos dans lequel s’enlise aujourd’hui Haïti. Des vidéos diffusées le 9 novembre, prétendant montrer une usine de fabrication de stupéfiants et des restes humains liés à l’homme d’affaires André “Andy” Apaid Jr, secouent l’opinion publique. Pourtant, les institutions restent muettes.
Ce mutisme, qualifié de “silence complice” par le Réseau Haïtien des Journalistes Anti-Corruption (RHAJAC), scandalise les défenseurs de la justice.
Ni la Direction Centrale de la Police Judiciaire (DCPJ), ni la Commission Nationale de Lutte contre la Drogue (CONALD), ni même le ministère de la Justice ne se sont exprimés, malgré l’ampleur des accusations.
Un silence institutionnel qui en dit long
Dans un pays où la moindre rumeur déclenche d’ordinaire des réactions politiques rapides, le silence face à ces images choquantes interroge.
Les vidéos, partagées des milliers de fois sur les réseaux, montreraient un vaste entrepôt où se mêlent produits chimiques, sacs de poudre blanche, et des fragments humains. Des sources locales y voient la preuve d’un réseau mêlant trafic de stupéfiants, blanchiment d’argent et possible trafic d’organes.
Mais au lieu d’une mobilisation judiciaire, c’est le calme plat du pouvoir qui domine.
“Ce silence, c’est plus qu’un manque de courage, c’est une forme de complicité d’État”, dénonce Djovany Michel, secrétaire général du RHAJAC. “Quand les faits concernent les puissants, la loi s’efface, la peur s’installe et la vérité recule.”
Quand le chantage des gangs révèle la corruption des élites
L’affaire trouve ses racines dans une dispute explosive entre l’oligarque André Apaid Jr et le chef de gang Wilson Joseph, alias Lanmò San Jou, figure du redouté gang 400 Mawozo.
Selon l’enquête préliminaire du RHAJAC, Lanmò San Jou aurait exigé d’Apaid une augmentation de financement, menaçant de dévoiler des vidéos compromettantes. Le refus de ce dernier aurait déclenché une attaque armée le 7 novembre, au cours de laquelle plusieurs membres du gang auraient été tués et deux véhicules détruits.
En représailles, Lanmò San Jou aurait tenu parole : il a publié des vidéos chocs, affirmant détenir “la preuve que les élites nourrissent les gangs”.
Une guerre de l’ombre s’est ainsi transformée en spectacle public, exposant les liens toxiques entre argent, pouvoir et criminalité organisée.
Cette affaire illustre un retournement ironique : les gangs, longtemps utilisés comme instruments de contrôle social et politique, se retournent désormais contre leurs bailleurs.
Comme le dit un observateur du RHAJAC :
“Haïti vit l’heure où les chiens mordent leurs maîtres. Ceux qui ont nourri le monstre de la violence doivent maintenant en affronter les crocs.”
L’État tétanisé, la justice paralysée
Malgré l’ampleur des faits, aucune réaction officielle n’a suivi.
Le RHAJAC, dans sa note de presse, dénonce un État paralysé par la peur ou la complicité, incapable d’appliquer la loi dès qu’elle touche à des intérêts puissants.
L’organisation réclame :
- Une enquête judiciaire indépendante et transparente sur l’affaire Apaid Jr ;
- Une prise de position officielle du ministère de la Justice et de la CONALD ;
- Une coopération internationale avec les partenaires étrangers engagés dans la lutte contre le crime transnational.
Le réseau rappelle que l’inaction de la justice n’est pas une neutralité, mais une prise de position en faveur de l’impunité.
Des antécédents lourds et une impunité persistante
Ce n’est pas la première fois que le nom d’André Apaid Jr se retrouve cité dans des affaires sensibles.
En juin 2023, le gouvernement du Canada avait sanctionné Apaid pour “violations graves des droits humains” et “soutien à des activités criminelles”, le plaçant sur la même liste que les chefs de gangs Lanmò San Jou, Vitelhomme Innocent et Izo.
Ces sanctions, bien que symboliques, avaient déjà mis en lumière les connexions opaques entre les élites économiques et les groupes armés.
Mais en Haïti, rien n’a changé. Aucune enquête nationale n’a suivi. Aucune perquisition, aucun mandat.
L’affaire Apaid 2025 ne fait que confirmer ce que beaucoup soupçonnent : le système judiciaire haïtien est devenu l’un des otages de la corruption qu’il devrait combattre.
La corruption comme miroir de la décomposition nationale
Ce dossier dépasse le simple cadre criminel.
Il révèle la profondeur du pacte de non-agression entre élites et criminels, un pacte qui sape la société et détruit toute idée d’État.
Quand un homme d’affaires est accusé de complicité avec un chef de gang, et que l’État se tait, ce n’est plus seulement un scandale — c’est un aveu collectif de faillite morale et politique.
Le RHAJAC met en garde :
“Haïti ne peut plus être un refuge pour les intouchables. Le pays ne survivra pas si la peur et la corruption remplacent la justice.”
Un dernier appel à la conscience nationale
Alors que la population subit chaque jour l’insécurité, la faim et la perte d’espoir, le RHAJAC appelle les journalistes, les défenseurs des droits humains et les citoyens lucides à rester debout.
Le réseau insiste : la vérité doit éclater, même si elle dérange les puissants.
Haïti n’a plus le luxe du silence.
Car à force de se taire, le pays apprend à vivre avec l’inacceptable.
Et dans ce silence, ce ne sont pas seulement les “chiens” qui mordent leurs maîtres — c’est la nation entière qui se dévore elle-même.
📞 Contact Presse : +509 4159 1359
🌐 Rhajac.org
