Par Antonio | 11 septembre 2025/Tel :(509)3665-2094
Dans une Haïti où le climat d’insécurité s’alourdit de jour en jour, la voix des journalistes s’éteint peu à peu. Non par choix, mais par peur. Par nécessité. Par instinct de survie. C’est le cas de Joseph Guyler C. Delva, figure respectée de la presse haïtienne et ardent défenseur de la liberté d’expression, aujourd’hui contraint de suspendre ses activités professionnelles suite à des menaces de mort persistantes.
Le 9 septembre 2025, l’Association interaméricaine de la presse (IAPA) a fermement condamné ces intimidations visant l’actuel secrétaire général de SOS Journalistes et vice-président régional du Comité pour la liberté de la presse en Haïti. L’organisation a appelé à des actions immédiates pour garantir sa sécurité et celle de tous les professionnels des médias dans le pays.
« Les menaces contre un journaliste sont des menaces contre la société tout entière », a déclaré Martha Ramos, présidente du comité de l’IAPA, dans un appel pressant aux autorités haïtiennes.
Un micro qui s’éteint, une lumière qui vacille
Joseph Guyler C. Delva n’est pas un inconnu. Voix familière des ondes haïtiennes, il coanimait jusqu’à récemment l’émission sociopolitique Matin Caraïbes sur Radio Caraïbes, l’un des espaces d’expression les plus suivis du pays. Un rendez-vous matinal pour comprendre, débattre, questionner. Un exercice quotidien de démocratie, devenu aujourd’hui trop risqué.
Depuis le début du mois d’août, Delva affirme être la cible d’un harcèlement soutenu. Les menaces se sont accumulées, anonymes mais lourdes de sens. Des tentatives de l’associer à des gangs armés auraient même été envisagées pour salir sa réputation — un projet que les autorités auraient finalement abandonné face au tollé prévisible.
Mais le mal est fait : par précaution, Delva a mis en pause ses interventions publiques. Une décision douloureuse mais nécessaire, dans un contexte où la parole peut coûter la vie.
Haïti, un territoire hostile pour la presse libre
La situation de Joseph Guyler C. Delva n’est pas un cas isolé. Elle illustre ce que le Rapporteur spécial pour la liberté d’expression de la CIDH qualifie comme l’environnement le plus hostile à la liberté de la presse de tout l’hémisphère.
Les journalistes haïtiens évoluent dans un champ miné : entre groupes armés, pouvoirs politiques fragiles, justice défaillante, et campagnes de désinformation, exercer ce métier devient un acte de résistance. Un pari sur l’honnêteté dans un pays rongé par la méfiance.
« Le climat de harcèlement souligne les conditions de vulnérabilité dans lesquelles les journalistes doivent exercer leur métier en Haïti », a rappelé le président de l’IAPA.
Quand l’État discrimine ceux qui informent
Au-delà des menaces individuelles, les institutions elles-mêmes fragilisent la presse indépendante. Delva a déjà été exclu d’une initiative officielle de soutien à la presse locale, une discrimination qui a également frappé SOS Journalistes, l’organisation qu’il dirige depuis des années avec intégrité.
Un signal fort et préoccupant : l’État choisit ses interlocuteurs. Ceux qui questionnent trop sont écartés. Ceux qui informent librement deviennent des cibles.
Un appel urgent à la responsabilité collective
Face à cette réalité, l’inaction n’est plus une option. L’IAPA exhorte l’État haïtien à garantir non seulement la sécurité physique de Delva, mais également le droit fondamental de chaque journaliste à exercer librement son métier.
Car il ne s’agit pas d’un simple cas de menace individuelle. Il s’agit de la santé démocratique d’un pays, de la capacité d’une société à entendre toutes les voix, surtout celles qui dérangent.
Ce qu’il reste quand la peur gagne
Lorsque les micros se taisent et que les journalistes désertent les studios par peur de ne pas rentrer chez eux le soir, c’est un pan entier de la vérité qui disparaît. Et avec elle, l’espoir d’un avenir mieux informé, plus juste.
Joseph Guyler C. Delva, malgré le silence qu’on tente de lui imposer, reste un symbole de résilience journalistique. Un homme qui, depuis plus de deux décennies, documente, interroge, dénonce, toujours avec la même rigueur. Aujourd’hui, c’est lui qu’il faut protéger. Demain, ce sera un autre. Puis un autre.
Et si nous ne réagissons pas, ce ne sont pas seulement les journalistes qu’on fera taire. C’est nous tous, citoyens, auditeurs, lecteurs, qui perdrons le droit fondamental de savoir.