Pour la première fois dans l’histoire du Brésil, un ancien chef de l’État est jugé pour tentative de renversement de l’ordre constitutionnel. Jair Messias Bolsonaro, président de la République de 2019 à 2022, comparaît devant la Cour suprême fédérale pour son implication présumée dans une tentative de coup d’État visant à empêcher l’investiture de Luiz Inácio Lula da Silva, élu à l’issue du scrutin d’octobre 2022.
Mais au-delà des accusations classiques de conspiration, le dossier a pris une tournure bien plus inquiétante : selon des documents recueillis par les autorités judiciaires, Bolsonaro et plusieurs de ses collaborateurs auraient envisagé d’éliminer physiquement Lula, alors président élu, afin de faciliter la prise de pouvoir par des moyens extraconstitutionnels.
Le parquet requiert une peine maximale de 43 années d’emprisonnement à l’encontre de l’ancien dirigeant, dans ce qui s’apparente à l’un des procès politiques les plus sensibles de l’Amérique latine contemporaine.
Une affaire d’État aux ramifications multiples
L’enquête, ouverte à la suite des événements du 8 janvier 2023 — lorsque des partisans de l’ex-président ont envahi les sièges des trois pouvoirs à Brasília — a progressivement révélé l’existence d’un réseau structuré de militaires, d’anciens ministres et de conseillers proches de Bolsonaro, œuvrant dans l’ombre à un plan visant à empêcher l’alternance démocratique.
Parmi les pièces maîtresses de l’accusation figure un document intitulé « Projet de stabilisation nationale », rédigé fin 2022 par des généraux à la retraite. Ce texte prévoyait l’instauration de l’état de siège, la destitution des membres de la Cour suprême et la mise sous tutelle du Tribunal supérieur électoral. Une annexe secrète, divulguée par un ancien aide de camp aujourd’hui collaborateur de la justice, évoquait « l’élimination ciblée d’obstacles à la continuité de l’ordre », formulation interprétée comme un euphémisme pour des assassinats politiques.
Un climat délétère, hérité d’un mandat polarisant
Dès sa prise de fonction, Bolsonaro a gouverné dans un climat de confrontation avec les institutions, les médias et le monde universitaire. S’appuyant sur un discours ultranationaliste et religieux, il a constamment remis en cause le système électoral brésilien, en particulier les urnes électroniques. À l’approche du scrutin de 2022, ses attaques se sont intensifiées, alimentant une rhétorique du « vol électoral imminent » auprès de sa base.
La défaite, en octobre 2022, face à Lula — revenu sur le devant de la scène après avoir purgé une peine de prison controversée pour corruption — a été suivie par un silence pesant. Bolsonaro a fui au Florida, évitant l’investiture de son successeur et lançant, depuis l’étranger, une série de déclarations ambiguës qui n’ont fait que renforcer les soupçons de collusion avec les émeutiers de janvier.
Les révélations-chocs : un complot d’assassinat ?
Le point de bascule de l’enquête est survenu en juillet 2025, lorsque le général à la retraite Mário Fernandes, dans un entretien sous serment, a reconnu avoir co-rédigé un plan d’intervention militaire en collaboration avec le cabinet présidentiel. Ce plan évoquait « des cibles politiques à neutraliser avant le 1er janvier 2023 ». Bien que Bolsonaro nie toute connaissance de ces projets, les preuves matérielles — échanges chiffrés, brouillons annotés retrouvés au palais de l’Alvorada, témoignages de membres de la sécurité présidentielle — tissent un faisceau d’indices accablants.
La perspective qu’un assassinat présidentiel prémédité ait été discuté au sommet de l’État choque l’opinion publique, déjà ébranlée par les violences de 2023. Lula da Silva, resté sobre dans ses déclarations, a néanmoins affirmé : « Si les institutions veulent que la démocratie survive, elles doivent la défendre sans trembler ».
Une défense offensive, mais fragilisée
L’ancien président, actuellement assigné à résidence à Angra dos Reis, nie en bloc. Il se dit victime d’un acharnement politique orchestré par ses adversaires et par la magistrature, qu’il accuse de partialité. Son avocat, Antônio Augusto Brandão de Aras, a dénoncé une instruction « entachée d’irrégularités » et évoque une possible saisine de la Cour interaméricaine des droits de l’homme.
Mais les stratagèmes de défense peinent à convaincre : plusieurs anciens alliés de Bolsonaro, dont son aide de camp Mauro Cid, ont choisi de coopérer avec la justice dans le cadre d’accords de délation récompensée. Ces retournements spectaculaires fragilisent la ligne de défense, et divisent même le camp bolsonariste, tiraillé entre fidélité idéologique et instinct de survie judiciaire.
Un procès emblématique pour la démocratie brésilienne
Ce procès cristallise les tensions d’un Brésil divisé, où le populisme autoritaire continue de séduire une frange importante de la population. Les rues de São Paulo, Porto Alegre et Brasília ont vu défiler des milliers de manifestants pro-Bolsonaro, dénonçant une « dictature judiciaire ». De l’autre côté, les défenseurs de l’État de droit réclament une condamnation exemplaire, pour que jamais ne se reproduise ce qu’ils considèrent comme une tentative de subversion de la volonté populaire.
Le jugement, prévu pour mi-septembre 2025, pourrait avoir des conséquences majeures sur l’avenir politique du pays. Au-delà du sort personnel de Bolsonaro, c’est la résilience de la démocratie brésilienne qui est mise à l’épreuve. Un acquittement serait perçu comme un aveu de faiblesse ; une condamnation ouvrirait la voie à des représailles politiques, dans un climat déjà saturé de tensions.
Un précédent lourd de sens
Le Brésil s’avance sur une ligne de crête. Entre vérité judiciaire et risque de crise institutionnelle, ce procès dépasse le cas d’un homme : il interroge la capacité d’un jeune régime démocratique à résister à ses propres démons. Que la justice tranche en faveur de la fermeté ou de la prudence, ce moment marquera un précédent historique, appelé à résonner bien au-delà des frontières du pays.